Ayant été incorporé le 12 avril 1915 au 7ème Régiment d'Infanterie à Cahors, Lot, ce n'est pas avec joie que j'ai franchi la porte de la caserne, surtout que je n'avais que dix huit ans et puis l'avenir était trop triste pour avoir de la joie dans le coeur.
Heureusement qu'habitait tout près de la caserne cette bonne Madame Capy qui était une parente à ma cousine Fargel de Monsempron. Elle était gardienne de la tour du Pape Jean XXII et, tous les soirs pendant le mois que je suis resté à Cahors, j'allais lui rendre visite. Elle m'encourageait quand j'étais trop démoralisé, surtout lorsqu'on nous a vacciné contre la typhoïde. J'étais très malade autant physiquement que moralement.
Puis, au début du mois de mai, nous nous embarquâmes pour Valence d'Agen. Le pays était plus beau que le Lot. C'était la belle plaine de la Garonne et qui est très riche en culture et les gens très aimables. Nous avions du bon vin rouge à 0,10 le litre et le vin blanc ne coûtait que 0,20 le litre. J'ai gardé un bon souvenir de la famille Dominique que je connaissais déjà. Presque tous les dimanches, j'allais déjeuner chez eux et j'allais me promener avec leur fille Mlle Fernande. Tout cela me rappelait la vie de famille que j'avais chez moi.
Je suis tombé malade d'une grosse angine qui m'a valu de passer trois semaines d'infirmerie où je n'étais pas trop malheureux. Puis les épreuves sont venues. Elles ont eu lieu vers Saint-Nicolas.
(J'ai visité le village de) Puimorens et Puymirol, curieux village fortifié (qui) m'a beaucoup intéressé. Tous les dimanches, j'allais en permission à Toulouse chez ma soeur Marie Brezet et j'ai eu aussi deux permissions de dix jours au mois d'août et à la Toussaint. C'est au retour de cette dernière permission qu'on a parlé de départ pour le front et le lieutenant Lamartinié m'a demandé si je voulais bien être son ordonnance, ce que j'ai accepté avec joie.
Nous voilà embarqués le 06 décembre 1915 pour un long voyage de quatre jours. Nous avons débarqué à Campagne-les-Hesdins, petit village du Pas de Calais. Nous, qui avions quitté le beau soleil du midi, nous trouvions des brumes et du froid. Heureusement, les habitants étaient très gentils mais, malgré cela, ils faisaient une préférence avec les troupes anglaises qui étaient cantonnées à Montreuil-sur-Mer. Là, je suis resté jusqu'au 15 mars 1916. Nous avons embarqué dans un wagon à bestiaux pour un voyage de deux jours à destination de l'Oise. Quel mauvais voyage ! Enfin, nous avons débarqué à Gisors dans l'Eure et de là, on est partis à pied pour le petit village de Serans et de Montagny-en-Vexin. Le lieutenant Lamartinié était cantonné chez un bourrelier qui s'appelait Dumesnil. Quel bon souvenir j'ai conservé de cette famille qui était très gentille pour moi et de leur petit garçon Gustave.
Nous sommes restés dans ce pays du mois de mars au mois de septembre mais pendant ces sept mois on a fait quelques petits voyages vers les lignes du côté de Lassigny et de Ressons-sur-Matz.
Au mois de juillet, nous nous sommes embarqués à Gisors, Eure, pour Tricot, petite station sur la ligne du nord et, de là, nous avons cantonné au château de Banis près de Boulogne-la-Grasse. Nous étions cantonnés dans des baraques dans le parc du château. Ce n'était pas très beau. Il pleuvait beaucoup. Nous allions faire des tranchées et des boyaux vers Conchy-les-Pots. C'est là qu'un soir j'ai reçu le baptême du feu. Les canons de 90 et les balles nous ont fait grand peur. Puis, nous allions travailler au bois des Loges. La vie n'était pas trop mal mais nous ne sommes restés là que vingt cinq jours.
Nous avons réembarqué à Montdidier et nous sommes descendus du train à Chaumont-en-Vexin, Oise, où il nous restait encore dix-huit kilomètres à faire par une grande chaleur où j'ai bien souffert et nous sommes revenus à Serans. Les gens étaient très contents de nous revoir surtout que nous avions laissé un très bon souvenir.
Notre séjour à Serans fut de courte durée. Au début du mois d'août 1916, nous avons repris le train à Gisors dans l'Eure pour débarquer à Ressons-sur-Matz. De là, je partis en congé. J'ai un très bon souvenir de ce petit village de la Somme et surtout du château de Ricquebourg qui est construit sur pilotis. C'est très curieux à admirer. De Ressons-sur-Matz, je fus dirigé sur La Neuville-sous-Ressons où je faisais fonction de cuisinier pour les officiers dans une belle propriété. Puis vint un ordre de départ pour aller au repos à l'arrière du front car nous étions tout près de Lassigny. Ma compagnie fut embarquée tandis que le lieutenant Lamartinié et moi nous partions en voiture. Nous avons traversé toute l'Oise et, aux endroits où nous nous arrêtions, j'allais visiter les monuments ou usines. J'ai visité notamment une grande fabrique de boutons de nacre au Petit Fercourt et puis à Méru. Ce voyage m'a laissé un très bon souvenir.
Nous voilà arrivés à Montagny-enVexin où je comptais faire un assez long stage mais voilà que l'on nous demande beaucoup de renforts pour les régiments qui viennent d'attaquer dans la Somme. Combien de camarades qui sont partis et que je n'ai plus revus : Plazoles de Mazères, Léantaut d'Aignes et combien... Heureusement que j'étais à la popote des officiers. Cela me valut de partir un des derniers et le 28 septembre 1916, je prends le train à Gisors, direction de Chaumont sur Marne où je couchais. Le lendemain, départ pour Revigny. Là, commençaient à (se) voir les premiers ravages de cette horrible campagne de 1914. Tout le pays était brûlé. Pas une maison n'avait été épargnée. Mon nouveau régiment : le 103ème d'Infanterie était cantonné à Vroil où je ne suis resté qu'une journée. Ma compagnie était allée à Bettancourt-la-Longue où je me plaisais assez bien. Il y avait encore quelques civils. Moi, je fus de suite admis à faire la cuisine aux sous-officiers pendant une huitaine de jours.
Mais voilà qu'après ces huit jours de cuistot, je suis parti renforcer une autre compagnie du 103ème qui venait du pont de Verdun. Je les ai rejoints à Contrisson. Là encore, j'ai traversé des villages anéantis ou brûlés, notamment Sermaize-les-Bains. On ne voyait que des tombes de soldats tués lors des dernières offensives à Contrisson. Je fus affecté à la 2ème compagnie, 4ème section, 12ème escouade. Mon chef de section ou sergent fut un bon type nommé Le Manguen car je n'étais plus avec des soldats du midi. Le 103ème était composé de parisiens et de normands des environs d'Alençon, Orne. J'ai trouvé tout le monde charmant et, tout de suite, je fis connaissance avec Danbèse de Toulouse et Papy de Massat, Ariège. Avec eux, j'étais plus familier qu'avec les autres camarades. Nous sommes restés huit jours au repos puis les camions vinrent nous prendre et nous conduisirent au camp de Sartèles, tout près du fort du Regret où était cantonné mon ami d'enfance Ernest Ruffat. Lui était dans l'Artillerie. J'ai fait mon possible pour le voir mais je n'ai pu le rencontrer à mon grand regret. Le lendemain, au soir, par une nuit noire et sous une pluie battante, nous sommes rentrés dans Verdun. J'étais cantonné rue de la bonne Vierge, tout près de la Cathédrale mais hélas ce n'étaient partout que des ruines où les allemands envoyaient continuellement des rafales d'obus. Aussi, nous logions dans les caves où nous avions entassés des matelas et des sommiers jusqu'à un (illisible). On tirait le temps comme l'on pouvait car il était formellement interdit de sortir dans le jour. Les allemands dominaient la ville. Notre séjour fut de courte durée. Au 4ème jour, vers minuit, nous voilà partis. A peine si on se distinguait à un pas. Nous avons traversé la Meuse sur un pont de bateaux et ce ne fut pas sans mal que je parvins sur l'autre rive qui s'appelait le Faubourg Pavé. On se dirige vers le ravin de la Mort au bois en T. Quel triste voyage que celui-là dans des boyaux pleins de boue où nous nous croisions avec ceux qui allaient se reposer un peu dans Verdun. Enfin, après beaucoup d'efforts et de peine car nous étions très chargés, nous sommes arrivés à ce bois. Mais hélas, ce n'était plus un bois qui nous attendait, ce n'était que le tronc de quelques arbres tout déchiquetés par les obus. C'était lamentable à voir. Je ne suis resté dans ce secteur que du 28 octobre 1916 au 06 décembre où je fus évacué pour les pieds gelés. Quelle souffrance j'ai enduré pendant huit jours avant que je sois évacué mais il le fallait : le major ne voulait pas me reconnaître malade. Quel mauvais secteur ! Je me rappellerai toujours les formidables bombardements, tous les blessés que nous avons eus et les morts, tant allemands que français, desquels il ne restait plus que les squelettes.
Enfin le 06 décembre, je fus évacué pour pieds gelés. Quelle joie j'ai éprouvée quand on m'a porté sur un brancard du ravin de la Dame à Montgrignon où j'ai été embarqué en canot automobile. Je me voyais sauvé de cet enfer qu'était le secteur de Verdun. J'arrive le matin à Vadelaincourt. A l'ambulance, là on m'a fait une piqûre au ventre contre le tétanos et, le lendemain, vers 10 heures, on m'embarque à destination de l'Est. Mais, le soir, en passant à Revigny, le major du train me fait descendre. J'avais trop de fièvre et l'on m'a gardé à l'ambulance 20/11. J'étais très bien soigné. Tout était très propre et le personnel très aimable mais je ne suis resté que huit jours. Mon état allait de mieux en mieux. Il fallait évacuer l'ambulance car, dans le secteur de Verdun, il y avait eu une grande offensive en novembre 1916. On m'a embarqué pour Vittel. J'arrivais dans cette petite ville qui est très agréable le lendemain matin avec une grosse migraine et on m'a installé dans la salle de jeux du casino qui était transformé en ambulance. C'était magnifique à voir, puis nous avions de gentilles infirmières, Mlle Denise notamment et les soeurs de Saint-Vincent de Paul. Au bout de quinze jours, il a fallu déménager encore et j'ai été hospitalisé à l'Hôtel Terminus en face de la gare. Là, nous étions mieux qu'au casino. Nous avions une chambre pour deux lits et cabinet de toilette avec l'eau froide et chaude. J'avais comme camarade de chambre un martiniquais qui était très gentil et s'ennuyait de son pays lointain.
Puis, le 11 janvier 1917, j'ai été reconnu guéri à la visite et, le lendemain, j'avais ma feuille de sortie et je pouvais aller en congé pour huit jours. J'étais si heureux de partir en congé que, le soir, en faisant voir mes papiers aux camarades, je les ai oubliés sur le lit de l'un d'eux.
J'ai pris mon train sans m'en apercevoir. Ce n'est qu'à Langres où j'ai voulu les revoir que je me suis avisé de mon oubli mais j'étais déjà loin de Vittel et, d'accord avec les camarades qui étaient avec moi, j'ai continué mon voyage jusqu'à Toulouse. Je n'ai eu aucun ennui au bout de mes huit jours. Je fus rejoindre mon régiment à St-Dizier où l'on me rééquipa à neuf, ayant tout perdu lors de mon évacuation. Seul, je retrouvais mon rasoir que j'ai encore. Près de St-Dizier, je pris le train pour Azerailles en Lorraine, petit village où il n'y avait pas d'hôtel et les gens pas trop aimables quand même. On nous permit, à un camarade et à moi, de coucher dans la grange, dans du foin. Quel froid que j'ai eu ! Surtout que l'hiver était très rigoureux.
Le lendemain, je me suis informé où était cantonné mon régiment et l'on me dit que la compagnie de renfort était à 10 kilomètres de là, à Bertrichamps, près de Baccarat.
J'ai eu un bon souvenir de grand-mère Gérard comme nous l'appelions. Toute l'affection qu'elle m'a témoignée. Je couchais chez elle avec un territorial nommé Rouca de chez M. Moulas de (illisible).
J'ai fait la cuisine d'abord aux sous-officiers puis il se forma une deuxième popote des officiers et moi je fus demandé comme cuisinier. J'étais très bien avec quatre officiers et les ordonnances dans un gentil pavillon mais hélas nous ne pouvions pas rester toujours dans ce charmant pays et le 23 mai 1917 vint l'ordre de départ et ce fut les larmes aux yeux que nous nous sommes quittés, surtout M. Gérard qui avait été si bonne avec moi.
Nous voilà partis pour un voyage à travers la Lorraine pendant trois jours à pied. Nous avons traversé Gerbéviller où un grand nombre de la population fut fusillé par les allemands en 1914, Domptail, avec sa belle église gothique toute ruinée, Franconville, petit village où j'ai vu un sanglier apprivoisé avec un troupeau de cochons, ce qui m'a bien étonné, puis, de nouveau, départ à cinq heures pour Ville-en-Vermois qui était à 7 kilomètres de Nancy. Ma popote et moi, nous étions cantonnés à Gérancourt, à 2 kilomètres de Ville-en-Vermois, chez Mme Creusot qui était une bien bonne vieille grand-mère. De là, j'embarquai le 28 mai 1917 pour mon congé à St-Nicolas de Port.
A mon retour de congé, je suis descendu à Bayon et, de là, j'ai regagné mon dépôt à Villacourt. Là, je ne suis pas resté longtemps. Quelques jours après, on s'embarque pour St-Dizier, Haute-Marne, et, de là, on rejoint Poissons. Comme c'était agréable cette petite ville ! J'étais cantonné chez des retraités de Paris qui s'appelaient M. Chrétien. Tout était très ordonné dans cette maison et les gens aimables. On allait tous les jours à l'exercice. C'était un jeu la vie en temps de paix. Le 21 juillet, je fus en permission mais, à mon retour, j'eus une grande déception. Moi qui croyais trouver mon régiment là où je l'avais quitté, tout le dépôt avait été vidé et je fus rejoindre mon régiment à Bazincourt où je fus inscrit à la 3ème compagnie. Là, ce n'était plus la vie de repos tous les jours : matin et soir, on faisait des exercices d'attaque avec des grenades et mitrailleuses. Tout cela n'était pas de trop bonne augure pour nous et le 20 août 1917, j'attaquais la cote du Talou, près deVerdun.
Nous ne sommes restés à Bazincourt qu'une huitaine de jours. Un soir, les camions vinrent nous embarquer et (nous) déposèrent à la caserne de Glorieux et Jardin Fontanie à Verdun.
On est restés six jours dans les sous-sols de ces casernes puis, un soir, on est montés en ligne. Moi, j'étais au bord du canal de la Marne à la Meuse. Nous avions devant nous la côte du Talou qui était occupée par les allemands et il fallait coûte que coûte la leur reprendre.
Aussi, le 20 août, à 4 heures 50, quelle émotion que j'ai eu quand il a fallu déboucher de derrière le canal. Le tir de barrage français était à dix mètres devant nous et les obus allemands tombaient au milieu de nous. Quel vacarme effroyable !
Nous avons eu beaucoup de morts mais nous avions réussi à déloger les allemands. Du haut de cote, les 155 français avaient tout bouleversé. Les abris étaient pleins de morts. Quelle triste chose qu'est la guerre !
Nous avons progressé jusqu'à Champneuville, bien au-delà de la côte du Talou puis, nous sommes revenus nous installer dans les premières lignes allemandes. Nous venions de conquérir deux petits villages et 5 kilomètres de terrain mais hélas, à quel prix ? Nous sommes restés en position pendant huit jours. C'est alors que le lieutenant commandant la 3ème compagnie n'avait plus d'ordonnance. Il prit l'agent de liaison de la 4ème section et moi je le remplaçais. C'était déjà un bon petit emploi malgré qu'il fut très dangereux. Puis en faisant cette attaque, je venais de gagner la croix de guerre. Cela me fit bien plaisir, surtout que j'avais une belle citation.
Au bout de huit jours, nous sommes descendus à Verdun où nous avons fait un court stage, puis on a regagné à pied Sommedieue où nous ne sommes restés que quatre jours. Puis, on est montés en ligne à Haudiomont. Là, j'étais en première ligne, tout près de la gare. C'était un bon secteur mais les tranchées étaient pleines d'eau et, à la nuit, on allait cueillir des quetsches dans les jardins. Comme souvenir, il y a aussi le fourrier Ginisty, un brave garçon qui s'est tué d'un coup de revolver sur un coup de cafard. On est restés en ligne huit jours, puis on est allés au repos au camp de la Chapelle pour cinq jours seulement et, de là , on est partis pour Châtillon-sous-les-Côtes. Moi, j'étais au camp d'Heinvaux. C'était féerique. Nous arrivions de Verdun où tout était ravagé et, là, ce camp avait été construit par des territoriaux avec des maisonnettes en bois dans une forêt. Il y avait des jardinets devant les portes. C'était très bien arrangé mais hélas il fallait que mon séjour à ce camp fut attristé par la mort de deux bons amis qu'un obus de 77 tomba en plein sur eux et que l'on retrouva en miettes, accrochés aux branches des arbres. Cet obus tomba à quelques mètres de moi et j'eus le bonheur de n'être pas touché. C'était la destinée qui était marquée ainsi. Puis, je fus remplacer le cuisinier des officiers : ce brave Jojo. De là, on fut au camp de Lachifour. Là, j'eus bien mal aux dents, notamment deux abcès qui me firent bien souffrir. Puis, de là, nous sommes remontés à Eix. C'était toujours un secteur tranquille mais il y avait beaucoup d'eau dans les tranchées. Il fallait passer sur des caillebotis qui, quelquefois, s'enfonçaient quand vous passiez dessus. Ce n'était pas du tout gai. Puis vint l'ordre de départ pour aller embarquer à Vavincourt où je suis resté vingt-quatre heures. De là, les camions vinrent nous chercher et nous emmenèrent à Tours-sur-Marne. A mon arrivée, j'eus ma permission au mois de novembre 1917. A mon retour, je fus surpris que le colonel Marquet me fasse appeler à son Poste de Commandement. C'était pour remplacer son ordonnance Seigneau qui partait en congé. C'était le 4 décembre 1917 et j'étais en ligne au Poste de Commandement Bonaparte, sous la Voie Romaine, à droite de Reims. Il y avait dans ce PC deux colonels MM Marquet et le colonel Nouvelles qui était du midi et en questionnant le personnel du PC, j'appris que le colonel Nouvelles était de Castelnaudary. J'en étais très heureux puis, après quelques jours que j'étais au PC, je fis sa connaissance. C'était un très brave homme. Il me parla du midi dont il était si fier. Quand mon stage de remplacement fut fini auprès du colonel Marquet, le colonel Nouvelles me fit appeler et me demanda si je serai content qu'il me nomme caporal comme j'étais du midi ou bien comme j'avais été placé chez le colonel de Fonds Lamothe à Toulouse que le colonel Nouvelles connaissait très bien si je voulais rester à la popote comme maître d'hôtel pour les servir à table, ce dont j'acceptais immédiatement. Là, au moins, j'avais beaucoup de travail mais la nourriture était bonne et je logeais dans un bon abri. Je me voyais sauvé de cette terrible guerre et que je ne remonterai plus aux tranchées. Je suis resté dans ce secteur pendant cinq mois puis je descendis au repos au camp de La Noblette. C'est de là que je partis en congé en gare de Cuperly. A mon retour, je fus fort étonné quand, à Vaires-Torcy, l'on écrivit sur ma permission à diriger sur Calais en grosses lettres. Je ne pouvais croire que mon régiment se fut déplacé si loin dans le nord. Malgré cela, je fus heureux de refaire ce long voyage, ce qui me permit de voir la ville de Calais. je n'y restai que vingt-quatre heures et j'eus le bonheur de voir mon beau-frère Gabriel Doumergue qui était en position dans les dunes. Ce n'était pas très agréable voir. Le lendemain, départ pour (illisible) qui se trouve à quelques kilomètres avant d'arriver à Dunkerque. De là, on me dirigea sur Winnezeele en Belgique. Je quittais le train à Cassel-nord où je dînai très bien puis je m'embarquai en camion avec un autre camarade du 103ème. Il nous fut impossible de retrouver le pays où nous allions. Les gens parlaient le flamand. On ne se comprenait pas. Nous avons couché dans le camion et, dans la matinée, nous avons eu la chance de trouver les voitures qui ravitaillaient le 103ème. Je pris une de ces voitures qui me conduisit à L'Abeele en Belgique. Comme ce petit village était propre malgré qu'il fut à quelque distance du front. Il y avait quelques civils. J'ai rejoint le poste du colonel à Reningelst, tout près du Mont Kermmel où mon régiment était en ligne. Je suis resté dans ce poste trois mois et quel triste souvenir ! Les allemands nous lançaient des rafales d'obus de 77 ou à gaz presque tous les jours. Ainsi il y eut beaucoup de pertes ou d'évacuations. C'est dans ce poste que le colonel Nouvelles nous fit ses adieux. Il était admis à se retirer à l'arrière et son remplaçant se nommait le colonel Villemin. Nous avions tous le trac que ce nouveau colonel changeât son PC mais il n'en fut rien. Tout resta dans le même ordre que l'avait organisé le colonel Nouvelles. Après ce stage de trois mois, je fus à Wormhout en France au repos. J'étais cantonné dans une brasserie. Les habitants étaient charmants. Je n'y restai que cinq jours et je fus m'embarquer à Bergues, direction de Fère-Champenoise. Je passai deux jours et deux nuits dans le train. Quand je descendis, j'étais éreinté. Ce n'étaient pas des premières classes. Je débarquai à Morains-le-Petit où je restai quatre jours mais les camions vinrent nous embarquer et nous conduisirent à Avernay, Marne. C'était le repos, du moins, nous le pensions. Aussi, nous fêtâmes le 14 juillet 1918 avec entrain, surtout que j'étais avec mon ami d'enfance Lapalu. Mais, hélas, vers 2 heures du matin, les obus allemands ne cessèrent de tomber dans ce petit village et aux alentours. Dès qu'il fit un peu jour, le commandant nous réunit à tous en nous disant que les allemands attaquaient en masse notre secteur et qu'il fallait se porter au devant d'eux.
Moi, comme j'étais à la popote, j'attendis que le cuisinier me remplit mon panier aux provisions et me voilà parti seul. Tout à coup, je me trouvai sur un plateau au-dessus de la Marne, les balles sifflaient de tous les côtés. Alors je compris où se trouvaient les allemands et je redescendis le versant vers Fleury-la-Rivière où je retrouvai le colonel et tous les officiers de la popote. Quelle tristesse ! Sur la route, on ne voyait que des pauvres gens, qui avec une brouette, d'autres avaient encore des chevaux, s'en allaient en pleurant et en emportant les quelques rares choses auxquelles ils tenaient beaucoup. C'était bien triste à voir, puis nous avons eu beaucoup de tués. je me rappelle toujours cette cour où l'on entassait les morts avant de les fouiller puis de les ensevelir. Tout cela des camarades à moi, de Fleury-la-Rivière. Nous allâmes à Venteuil où nous étions cantonnés dans les caves et, malgré les rafales d'obus, j'allai cueillir des prunes au bord de la Marne et le bon champagne brut que l'on buvait. Tout le village fut presque rasé. J'y restai presque quinze jours enfermé dans les caves puis, par une nuit noire, nous avons traversé la Marne sur une passerelle de tonneaux pour nous diriger vers Port à Binson et nous fûmes cantonnés à Festigny les Hameaux. Là, j'appris la mort de mon ami André Pognon, le neveu de la grand-mère de Bertrichamps. Tous les villages étaient ravagés par les obus et les incendies. De Festigny, on nous dirigea vers St-Hilaire le Petit. J'étais cantonné dans les écoles. On ne resta qua vingt-quatre heures et départ à pied pour Courmelois et le Mont de Billy. Là, nous étions cantonnés dans le parc du château, dans de jolis petits abris où nous avions entassés les glaces et les objets de prix du château. C'est là que mon camarade (espace blanc) qui faisait le coiffeur me fit mon portrait à la peinture à l'eau. Je partis aussi de cet endroit en congé en juillet 1918.
A mon retour, la grande offensive allemande commença. Nous fûmes relevés brusquement et nous embarquions pour Mourmelon-le-Petit. Je ne pouvais passer à cet endroit sans aller sur la tombe de mon cher ami Marius Armengaud qui se trouvait dans le cimetière militaire de Mourmelon.
J'y restai 24 heures et les camions nous prirent pour nous déposer à Souain. Quelle triste nuit ! Nous avons dormi sur place, dans la plaine, au bord de la route et, le matin, en me réveillant, je vis que, comme oreiller, j'avais une tombe d'un allemand enterré là quelques temps avant. De là, nous avons avancé vers Sainte-Marie-à-Py jusqu'à Pauvres où nous sommes restés quinze jours. Puis, nouveau départ pour Jenneville. Cette petite ville avait été entièrement brûlée. Il ne restait pas une maison intacte. Nous sommes allés cantonner au PC du bled, dans un petit bois de sapins. Quel magnifique abri il avait été construit pour un général de la 8ème division. J'y restai quelques temps puis je repartis en congé au début de novembre.
A mon arrivée chez moi, toute ma famille était malade de la grippe espagnole et ma pauvre grand-mère était morte depuis une huitaine de jours. J'eus beaucoup de chagrin mais nous étions habitués à voir la mort de près et puis j'étais d'une très grande insouciance car on ne savait pas ce que l'avenir nous réservait pour le lendemain.
Je fus rejoindre mon régiment pour laVeuve où je restai cinq jours. De là, j'allai souvent à Chalons sur Marne pour savoir où était passé mon régiment. Enfin, après cinq jours, l'on me dirigea sur Sedan. Après bien des péripéties de voyage, je passai à Vouziers, Rethel et arrivai à Sedan, faubourg Torcy, vers 6 heures du soir. Il faisait presque nuit et, étant avec un ami du 103ème, nous ne savions où aller coucher quand passa près de nous M. Lelièvre qui nous dit de le suivre chez lui, rue du rivage. Nous fîmes la connaissance de Mme Lelièvre et de leur demoiselle ainsi que de leur fils. Quels braves gens ! Comme ils n'avaient rien ou presque pour dîner, nous ouvrîmes nos musettes qui étaient encore bien remplies. Nous partageâmes notre repas puis, comme nous étions très fatigués, Mme Lelièvre nous prépara un bon lit où je me reposai bien. Puis, le lendemain, je fus rejoindre mon régiment à quelques kilomètres de Sedan. Mais je n'y restai que quelques jours et nous revînmes nous installer à Sedan, rue du général Margueritte. Quel bon souvenir que j'ai conservé de la famille Lelièvre et des habitants qui étaient si heureux de nous revoir après avoir enduré tant de privations et d'ennuis. Je repartai de Sedan vers le 20 décembre pour rejoindre Francheval- Petit-Village au nord de Sedan. Les habitants étaient très gentils. Nous sommes restés dans ce village jusqu'à la fin janvier. Puis nous sommes allés cantonner à Carignan. Le colonel était logé chez M. Denaiffe, grainetier. C'est de là que partit l'ordonnance du colonel, ce brave Barthélémi. Je le remplaçai auprès du colonel puis, vers le 15 mars, nous prîmes le train pour nous rendre à Stenay, Meuse. je fus logé au château des tilleuls, résidence du Kronprinz. Je n'y restai que quelques jours puis je repris le train pour Paris et nous débarquâmes à Pierrefitte après un très long voyage de plusieurs jours. Le lendemain, nous rejoignîmes Paris, caserne Penthièvre et École Militaire où je restai jusqu'au 15 septembre où je fus démobilisé au fort de Massy Palaiseau. Là me furent remis mes ordres de route pour rejoindre Calmont où j'arrivais avec une très grande joie de retrouver tous mes parents sains et saufs, sauf ma pauvre grand-mère qui était décédée un an plus tôt. Je me suis reposé un mois puis je suis allé à Picarrou chez M. Picq en remplacement de l'ouvrier boulanger qui était souffrant. J'y suis resté deux mois. J'étais très bien logé et nourri, puis je suis venu à Calmont pour me marier le 24 novembre et je n'ai pas bougé de la maison.